Le Focus d'Eric Mahieu: P2P et paradoxes

Avoir une adresse e-mail ouvre bien des portes de nos jours. Durant la campagne pour les primaires démocrates, les supporters de Barack Obama étaient invités à en fournir une pour pouvoir assister aux meetings (les numéros de GSM étant également bienvenus). Mais il est un autre domaine où sans conteste la collecte d'adresses mail est devenue une obsession.

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Depuis l'initiative de Radiohead en octobre de l'an dernier pour le lancement de son album « In Rainbows », on ne compte plus les musiciens qui ont jeté leur dévolu sur la Toile: Nine Inch Nails, Coldplay, Primal Scream ou encore le duo David Byrne et Brian Eno. Si Nine Inch Nails a pris la décision assez radicale de livrer en ligne l'intégralité de ses deux derniers albums, les autres artistes se limitent en général à quelques titres, parfois inédits. Coldplay ou Eno/Byrne ont ainsi offert aux internautes un premier morceau d'un nouvel album tandis que Primal Scream offrait un titre inédit. Le groupe Mercury Rev offrira quant à lui onze titres en complément de son prochain album, qui n'en compte que neuf. Dans tous les cas, le sésame est une simple adresse e-mail qui permettra au groupe de toucher les fans avec news, annonces de concert, offres promotionnelles, etc.

Pourtant, selon un récent rapport de BigChampagne Media Measurement, même une adresse mail est peut-être trop demander. Elaboré par Will Page et Eric Garland, ce rapport intitulé « In Rainbows, On Torrents » revient sur l'expérience de Radiohead et démontre que même une offre gratuite émanant d'un groupe jouissant d'une grande crédibilité auprès d'un public de fans nombreux n'entame pas le trafic des sites P2P. Selon BigChampagne, entre le 10 octobre et le 3 novembre 2007, l'album a été téléchargé à 2,3 millions de reprises via des réseaux P2P, dont 400.000 le jour même de la sortie. Ce chiffre est ahurissant: en comparaison, pour les albums de Portishead, Gnarls Barkey ou Panic At The Disco, sortis de manière traditionnelle, le pic maximum de téléchargements se situe aux alentours de 150.000... par semaine!

Cette ruée sur les sites P2P n'a pas empêché le disque de Radiohead de remporter un succès phénoménal. Il a pris la tête des ventes d'albums aux Etats-Unis comme en Grande-Bretagne lors de sa sortie officielle en janvier 2008 (Radiohead a resigné un contrat avec un label peu après son coup marketing). La tournée de concerts qui a suivi n'a pas été moins couronnée de succès. Même si les labels de disques soutiennent que les téléchargements illégaux cassent les ventes, l'exemple de Radiohead montre que ce lien n'est pas automatique. Du reste, il faut se demander ce qui est le pire pour un artiste: perdre des ventes potentielles ou s'apercevoir que son œuvre n'intéresse personne puisqu'elle est absente des réseaux P2P?

Quand on compare l'initiative de Radiohead à celle de Nine Inch Nails (qui a proposé gratuitement pas moins de deux albums depuis lors) et des sites P2P, la proposition de Radiohead apparaît moins alléchante: plus de contraintes (données à fournir, période de disponibilité, sans compter une décision à prendre: payer ou pas et si oui, combien,) pour une qualité sonore inférieure (160 kbps seulement quand NIN ou les sites P2P proposent jusqu'à 320 kbps). Selon Page et Garland, une des leçons à tirer de l'affaire, c'est que les internautes aiment garder leurs habitudes et préserver leur anonymat. De la sorte, les sites de téléchargement illégal comme The Pirate Bay sont devenus à leurs yeux de véritables marques auxquelles on peut d'une certaine manière faire confiance. La conclusion des auteurs est dès lors assez simple: en dépit de l'exécration des labels, ils ne sont pas près de disparaître.

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