Quels sont les apports de l'Intelligence Artificielle au secteur de la comptabilité ?

OG : Aujourd’hui, l’utilisation de l’IA dans le secteur comptable est relativement basique : chez LG, elle sert principalement dans l’automatisation de la comptabilisation de la documentation. Attention, basique ne veut pas dire insignifiante. L’automatisation permet de libérer le comptable des tâches manuelles et fastidieuses d’encodage et de pratiquer ce que l’on appelle la « comptabilité continue » : les documents comptables entrés par nos clients dans le logiciel spécialisé sont directement classés et pris en compte, tout au long de l’année. Fini le temps où votre client amenait les documents une fois par trimestre dans un classeur pour sa déclaration TVA. À présent, vous êtes informés au jour le jour.  Les cabinets peuvent lisser leurs interventions et éviter la panique des pics de clôture. Cela permet un réel gain de temps, autant pour les comptables que pour leurs clients, et un accroissement de l’efficacité professionnelle et organisationnelle. La digitalisation fait basculer un travail « artisanal » en un cabinet « industriel ». On peut qualifier tout cela comme étant la révolution industrielle de notre secteur.

L’IA n’en étant qu’à ses débuts, comment envisagez-vous l’avenir ? Le métier de comptable est-il susceptible d’être entièrement remplacé par des ordinateurs ?

O.G. : De nombreux point sont encore à améliorer, et les possibilités à implémenter sont énormes. À ce jour, l’automatisation n’est pas fiable à 100% et elle oblige à une vérification ou plutôt une validation humaine. Je pense qu’on assistera principalement à un « glissement continu » de tâches : là ou l’expert s’employait autrefois à comptabiliser pièce par pièce, il s’agit pour lui aujourd’hui de créer des règles de reconnaissance pour les logiciels, qui soient logiques et mises à jour au gré des évolutions législatives. Dans les deux cas, il faut toujours l’intervention d’un humain. Cet humain est « augmenté » car il lui faut moins de temps pour accomplir sa tâche, mais il n’est pas hors-jeu, si lui-même sait se réinventer. De plus, les gains de temps colossaux engendrés par l’IA apportent un autre glissement crucial : moins de comptabilité signifie plus d’analyses et de conseils financiers. 

Dans quelques temps, ce glissement comptable intégrera aussi le conseil et ainsi de suite. En fait, cette perspective nous encourage à développer, dès à présent des compétences complémentaires à l'IA et propres à notre nature humaine profonde telles que l'adaptabilité, la créativité ou encore l'intuition.

C'est une question universelle en tant qu’être humain : quelle sera notre valeur ajoutée demain ?

Les IA conversationnelles comme ChatGPT sont sur toutes les lèvres. Leur potentiel et les dangers afférents sont discutés à travers le monde entier. Quel impact pourrait avoir ce genre de logiciel sur la comptabilité ?

Pour un jeune cabinet comme le nôtre, qui travaille avec plus de 500 entreprises, nous notons une quantité de questions similaires parmi nos clients. En l’espace de 6 ans, nous avons noté une augmentation des mails clients (soit le nombre de questions par client par an) tout comme du nombre de réunions clients (soit la fréquence et la durée). Cela pèse évidemment sur les épaules des cabinets. Les raisons de cette augmentation sont diverses : instabilité économique, une plus grande proximité avec son expert grâce à la digitalisation, ou la rapidité des modifications législatives.

Il y a 15 ans, nous parlions sur le web de contenus types « FAQ ». Il s’agissait de questions récurrentes et importantes mais qui ne nécessitaient pas l’avis d’un spécialiste. Bien évidemment, pour le consommateur, ce type de contenus n’était pas aussi ludique qu’un chatbot. L’IA conversationnelle, bien cadrée, pourrait prendre, 24h/24, 7j/7, cette partie du conseil dit « général ».  Je suppose qu’avec le temps, ce conseil « général » pourrait devenir « spécifique ». J’insiste cependant sur la nécessité d’un conseil « bien cadré », car à mon sens, les réponses formulées doivent toujours être travaillées en amont par l’un de nos experts.

La grande question que pose ChatGPT est celle de la fiabilité des sources sur lesquelles le logiciel se base pour répondre. A ce jour, personne ne les connaît. C’est d’autant plus délicat que la fiscalité est mal écrite. La loi est évidemment le point de départ mais il faut également tenir compte de la tolérance administrative, la jurisprudence des tribunaux ou encore la position de la doctrine. Bref, le législateur belge n'aide pas l'IA, encore trop générale, du fait des niches fiscales, des modifications budgétaires rapides, des interprétations diverses, etc. L'IA sait trouver les sources mais elle n'est pas encore capable d'arbitrer toutes ces perspectives comme un praticien humain.

La digitalisation et le passage à l’IA dans la comptabilité est-elle à la portée de tous ?

La digitalisation est un changement radical, une claire rupture avec le passé. Il y a toujours des réticences lors d’une disruption car il faut revoir ses propres habitudes. Digitaliser, ce n’est pas scanner un document papier. Cela implique de repenser, pour les cabinets comme pour les clients, tous les process et tous les canaux de communication. Au-delà du changement des habitudes et des mentalités, le challenge est également technique : il faut relier entre eux les programmes, les machines, les systèmes et les environnements pour créer un vrai flux digital et centraliser les informations. Évidemment, comme toute technologie, la digitalisation à un coût. Concrètement, certains logiciels coûtent à notre jeune cabinet un peu plus de 40.000 euros par an. Et je précise que ce coût ne concerne qu’un seul logiciel et non l’ensemble des outils informatiques que nous utilisons. 

Il est clair que les plus petits cabinets n’auront pas accès à cette technologie. Vous aurez donc un double clivage entre un cabinet A de petite taille et un cabinet B de grande taille : le degré de polyvalence des experts comptables (plus on est, plus on sait) et le niveau de technologie utilisée, qui renvoie à la précision mais aussi au confort client. Du côté des clients, la nouvelle génération d’entrepreneurs réclame des solutions digitales. En conclusion, on peut comparer la situation au passage à l’Euro : votre commerce ne peut être le seul à continuer à travailler en francs belges. Cette transition est devenue obligatoire, voire forcée. Nous avons la chance de l’avoir amorcée et d’être en mesure de fournir à nos clients tous les avantages qu’elle promet.